La grande tranchée de Glomel

La construction du canal de Nantes à Brest fut un long et gigantesque chantier dont le morceau de bravoure fut le percement de la Tranchée à Glomel, point de partage entre le bassin versant du Blavet et celui de l’Hyères. 2,5 km de long, 100 m de large au sommet, 23 m de hauteur, plus de 10 ans de travaux, 650 bagnards en même temps au plus fort de l’activité. Car les travaux devant être très pénibles, on décide d’utiliser des bagnards : soldats déserteurs de la guerre d’Indépendance d’Espagne, objecteurs à la conscription, bonapartistes refusant de servir le nouveau régime. Le camp s’ouvre le 5 juin 1823 avec l’accueil de 32 condamnés en provenance du bagne militaire de Brest. De 1823 à 1832, les bagnards vont se succéder creusant peu à peu la « Grande Tranchée ».

Les bagnards

Le nombre de bagnards variera de 300 à 650 durant les 9 années de leur présence. 

Dans un rapport du 26 juin 1823, l’ingénieur Lecor écrit : « Les condamnés me donnent bien de la peine. On a mis un peu d’ordre dans la translation des hommes qui nous sont arrivés jusqu’à présent. La plupart ont vendu en route les vêtements dont ils étaient porteurs et sont arrivés, ici, presque nus. Il était cependant facile de les surveiller car jusqu’à présent les envois ont été peu nombreux. Ils viennent par 10, 20 et 30 au plus. Ils sont actuellement 68, parmi lesquels 20 des galères militaires où ils traînaient le boulet. Ces derniers sont en général de mauvais sujets, des hommes démoralisés. Il faut user envers eux de beaucoup de sang froid et de la plus grande sévérité. J’ai passé en revue homme par homme, je me suis fait présenter les vêtements reçus à Glomel. Un grand nombre a déjà vendu chemises, souliers, guêtres. J’ai dû sévir ; plusieurs sont au cachot, les autres suivront de près. Ne pouvant les punir tous à la fois, chacun y passera à son tour. Il faut une surveillance continuelle et une grande habitude de les diriger, c’est en débutant qu’il faut se montrer sévère et juste, sinon on n’en viendra pas à bout. » 

Des grâces interviennent régulièrement : le roi gracie deux fois par an en janvier et en juillet. Si quelques hommes sont « rendus à leurs foyers », la plupart doivent encore effectuer leur période militaire et sont reconduits dans leurs régiments d’origine.

Les bagnards ne suffisent pas sur le chantier. Il y a aussi des ouvriers libres (il y a pu en avoir jusqu’à 800 au plus fort du chantier) qui y travaillent. Ils sont maçons, charpentiers, couvreurs… Ils sont très surveillés par les autorités et par le préfet en particulier qui souhaite limiter au maximum leurs contacts avec les bagnards. Leur sort n’est guère meilleur.

Pour surveiller cette population, une brigade de gendarmerie est installée à Glomel. Car parmi ces ouvriers, il y a nombre de fortes têtes (anciens galériens, repris de justice…). En avril 1831, les crédits pour le canal sont amputés et des licenciements massifs renvoient de 1 000 à 1 200 ouvriers chez eux pour la section de Gouarec à Glomel. Les autorités ont peur des émeutes qui pourraient résulter : si la moitié environ est originaire du pays, l’autre non et se trouve donc réduite à la mendicité. On débloque donc un crédit d’urgence pour une embauche en régie directe des Ponts & Chaussées, notamment des ouvriers les plus remuants ou les plus dangereux.

La fin du camp

C’est la peur de l’épidémie de choléra de 1832 qui sonne la fin du camp. En avril, alors que des cas sont avérés à Paris, à Nantes, il y a une suspicion de choléra au camp.

Le docteur Levincent, appelé comme expert, confirme que le camp n’est pas touché par l’épidémie. Il dresse toutefois un tableau redoutable de l’état du camp, parlant de « cloaque infect » : « dans une plaine marécageuse, couverte de flaques d’eau croupie, on a dressé un carré de 93m sur chaque face. »

Le 9 mai, un 1er cas de choléra est identifié à Lannion. Le 18 mai, par peur de la contagion, le camp est évacué. Les bagnards sont évacués en 3 jours par groupes de 50 escortés par des gendarmes et un renfort de troupe vers le fort de Quélern en Presqu’île de Crozon.

Au printemps 1833, l’ingénieur Lecor refuse de former un nouvel atelier de condamnés. Le 16 juin 1834, le camp est définitivement supprimé. Il sera entièrement rasé après un incendie en mars 1835. Les travaux seront terminés par des entrepreneurs locaux.

Les premiers bateaux franchiront la coupure de la ligne de partage en 1834.